Petit stage au fil des contes

Me voici pour une fois un peu posée au même endroit, et j’ai décidé de mettre de côté la collecte des contes pour me confronter sérieusement au rôle d’en face. Car si il est facile de raconter des histoires, accoudée à un comptoir mexicain, ou en faisant du stop sur le bord d’une route d’Argentine, c’est une autre paire de manche que de se produire devant un public !

J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à raconter les histoires que je récolte, mais il était grand temps de mettre un peu de technique dans l’affaire. Or (et c’est toujours comme cela que cela se passe dans une bonne histoire), j’avais à peine posé mon dernier carton d’emménagement dans mon nouveau chez-moi que je suis tombée sur ceci :

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Difficile de refuser pareille proposition. En piste, donc, pour un week-end de stage chez les Tisseurs de contes !

Exercices, improvisations et virelangues en bonne compagnie, j’ai eu le plaisir de rencontrer des curieux et des passionnés, toujours prêts à partager une bonne histoire, et surtout un bon truc pour la mettre en scène. Car moi qui venais chercher de la technique, j’ai été servie… et j’ai vraiment saisi la mesure du boulot qu’il me reste. C’est fou ce que deux jours de racontage d’histoires peuvent vous épuiser !

Du travail, mais aussi du plaisir. Un conte ne serait pas un conte sans un rebondissement inattendu. C’est ainsi que j’ai entendu une histoire, où un lapin malin, armé d’une simple liane, ridiculise un éléphant et un rhinocéros qui se prenaient pour les rois du monde… Conte traditionnel africain, semble-t-il. Mais moi, c’est un conte que j’avais entendu en Louisiane, dans le bayou, et presque à l’identique (pour mémoire, c’était ici). La présence d’un éléphant en Louisiane m’avait déjà mis la puce à l’oreille, et on peut en être sûr à présent : ce conte est venu en Louisiane par le biais des esclaves noirs. Cela dit, ce n’est pas tellement pour des considérations scientifiques que cela m’a ravie, mais bien parce que c’est toujours un peu magique de réentendre un conte que j’ai déjà collecté à l’autre bout du monde. C’est un peu comme un vieil ami, qui surgit à un moment inattendu, et qu’on ne reconnait pas tout de suite.

Puisqu’il fallait chacun venir avec un conte à travailler, je suis venue avec le premier que j’ai rencontré au début du mon périple américain, qui n’a depuis cessé de me poursuivre… Une histoire que je connais sur le bout des doigts, mais qui ne se laisse pas raconter si facilement !

Autrefois, les tortues vivaient dans le ciel et non dans la mer…

Ah oui, mais stop, puisque la grande leçon du week-end fut de ne pas rester prisonnier des mots écrits pour ne pas figer le conte…  C’est donc autour d’un verre, et non devant un écran, que je raconterai l’histoire de la petite tortue, de la lune, et de cette étoile qui n’a cessé d’éclairer mon chemin depuis que je l’ai croisée.

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Romania : les bonnes traditions du bâtiment

Petite promenade à Brasov avec une Roumaine qui nous fait gentiment visiter. Arrivés devant la cathédrale, un impressionnant bâtiment aux pierres noircies par un incendie, on remarque une gargouille un peu étrange, qui nous regarde passer de très haut : la statue d’un petit garçon.

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Et pourtant, il n’avait pas le vertige…

Que fait-il là ? Et bien l’histoire raconte que l’architecte en charge de la cathédrale tenait ses plans secrets et veillait jalousement sur ses secrets de construction. Mais un de ses jeunes assistants, voyant combien le bâtiment était audacieux, ne résista pas à l’envie d’aller fouiner dans les papiers de son maître.Il ne comprit pas grand chose à ce qu’il pu lire sur les plans, mais absorbé par ce qu’il trouvait, il ne vit pas que l’architecte l’avait surpris… Le jour suivant, alors que le jeune garçon travaillait au sommet des échafaudages, l’architecte le poussa sans pitié dans le vide…

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… et en plus, elle est vraiment très haute.

Triste histoire, mais qui est corrélée à une autre légende, très ancienne elle aussi. En Roumanie, on raconte qu’il faut parfois sanctifier un chantier difficile par un sacrifice. Sacrifice humain, bien entendu.

C’est ainsi qu’à Curtea de Arges, par exemple, on peut admirer un très beau monastère dont la construction est entachée par une sinistre légende… On raconte qu’au XVIe siècle, le bâtisseur Manole avait entrepris ce chantier, mais semblait frappé d’une malédiction : chaque nuit, le travail érigé dans la journée s’effondrait. Désespéré, il consulta un voyant qui lui conseilla d’emmurer un être vivant dans les fondations, en sacrifice aux esprits qui bloquaient le chantier. Incapable de choisir qui serait la victime, Manole se mit d’accord avec ses ouvriers pour sacrifier la première personne qui arriverait sur place le lendemain matin. Hélas, ironie du sort, le lendemain matin, ils virent arriver Ana, la femme bien aimée de l’architecte… Lié par sa promesse, Manole emmura sa femme, et put finir le chantier. Mais la nuit, parfois, on entend une voix de femme qui semble sortir des murs…

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Tout ceci me rappelle fortement ce que j’ai pu entendre en Bolivie, sur ce qui ce qu’on peut trouver dans les fondations de certains bâtiments de La Paz…. Ce que notre amie roumaine a trouvé très intéressant !

Dans les entrailles de La Paz…

 

Romania : pour les sorcières, c’est bien ici.

Bien plus que le pays des vampires, la Roumanie est avant tout le pays des sorcières.

Je l’ai dit dans mon précédent billet, les fameux strigoi, qui ont pu inspirer Stoker pour les vampires, sont des revenants venus pomper l’air à leurs familles (au sens propre). Mais le strigoi peut également être un vivant, et dans ce cas, c’est un sorcier, en accointance avec les mauvais esprits. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la présence d’un strigoi (mort ou vivant) dans un village se manifeste par toute une série de signes qui ne sont pas sans rappeler les accusations de sorcellerie plus classiques: les récoltes sont mauvaises, ou détruites par la grêle, les vaches ne donnent plus de lait, les hommes deviennent impuissants… Comme vous le voyez, on est en terrain connu.

Et en effet, au contraire du vampire, qui fait figure de petit nouveau dans le folklore roumain, les pratiques de sorcellerie ne datent pas d’hier, et ne risquent pas de se démoder demain. Si certains gestes et rituels du quotidien peuvent s’apparenter à de la sorcellerie (sans chercher bien loin, cette histoire d’ail à la St-André), j’ai eu la surprise de découvrir sur place une sorcellerie professionnelle, qui s’organise parfois en véritables entreprises. Jusqu’à il y a peu, les sorcières pouvaient même passer des spots de pub à la télé, rien que ça.

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Reportages, interview… En Roumanie, les sorcières ne se cachent pas

Autre surprise de taille : Après des siècles de chasse aux sorcières,  le métier est aujourd’hui reconnu par l’état roumain. Belle victoire ! Mais lorsque celui-ci, en 2011, a voulu en profiter pour leur faire payer des impôts, et a eu la mauvaise idée de menacer d’amendes à celles dont les prédictions ne se réalisaient pas, elles ont immédiatement réagi en lui jetant un sort. Cela peut faire sourire, mais le Parlement a aussitôt rejeté la loi…

Et le conflit est loin d’être terminé…A lire sur le sujet :

http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/01/06/la-roumanie-fait-la-chasse-aux-sorcieres_1626646_3214.html

On ne plaisante donc pas avec les histoires de malédiction en Roumanie, car elles se réalisent… Comme celle qui protégeait l’hôpital Brâncovenesc de Bucarest. La légende disait que l’homme qui oserait le détruire connaitrait une mort brutale à un Noël. Et bien, il se trouve que l’hôpital a été rasé sur ordre d’un dictateur atteint de folie des grandeurs, et qui rêvait pour Bucarest de travaux pharaoniques, un certain Ceausescu. Et savez-vous quand l’ami Nicolai a-t-il été exécuté ? Je vous le donne entre mille : un 25 décembre.

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Un palais tout neuf, qui faisait fi des vieilles superstitions…

Romania : Strigoi, vrolock et autres revenants

Les gens que j’ai rencontré sur place (sauf les tours opérateurs et les vendeurs de mugs Dracula) ont passé leur temps à me le dire que non, on ne trouve pas de vampires dans les légendes roumaines. Ne soyez tout de même pas trop déçus, on trouve quand même des créatures chouettes en Roumanie. Et comme je le disais dans mon billet précédent, l’ami Stoker n’est pas parti de rien.

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Un vampire en Roumanie ? Pourquoi pas Vlad Tepes faisant du vélo, tant qu’on y est ?

Ce qui s’approche le plus du vampire dans le folklore roumain, c’est le strigoi (qui n’est pas sans rappeler le stryge antique). C’est un revenant qui ne trouve pas le repos, et revient hanter ses proches. Selon les versions, il les tourmente jusqu’à la mort, ou leur aspire leur énergie vitale (c’est plus rapide, mais le résultat est le même). De l’énergie vitale au sang, il n’y a qu’un pas, on comprend qu’il est facile de le franchir pour faire du strigoi roumain un vampire. Et ce qui est intéressant, c’est que le strigoi s’en prend surtout à ses proches, donc ceux qui sont de son sang.

Si les strigoi sont donc des non-morts, on trouve aussi des strigoi vivants : la strigoaică (strigoi au féminin) est une sorcière (une femme qui a commerce avec les mauvais esprits, d’où le glissement de sens). On est donc dans une catégorie beaucoup plus large que le vampire tel qu’on le conçoit en Occident.

Sur place, on m’a aussi parlé du vrolock (cité par Stoker, d’ailleurs, dans la troisième lettre de John Harker), qui est toujours un mort qui s’est relevé, mais qui est capable de se changer en animal : on touche là à une des racines du mythe du loup-garou, mais aussi à l’origine de cette croyance qui veut que le vampire puisse se changer en animal (loup ou chauve-souris), ou au moins les contrôler fortement. Par extension, le terme peut aussi désigner un sorcier.

Les histoires de morts qui sortent de leur tombeau sont fréquentes, et les recettes pour les y maintenir sont aussi variées que curieuses. Bram Stoker a gardé l’idée de percer (ou d’arracher) le cœur, certes, mais il est également utile de lui couper les pieds (si il ne peut pas marcher, il ne pourra pas sortir de son tombeau. Logique), ou de lui laisser un sac de graines dans le cercueil (Apparemment, comme il sera occupé à les compter, il ne pensera pas à sortir. Insolite).

Et les affaires de profanation de tombeau, par des vivants désireux de vérifier que le mort y restera, ne sont pas que des anecdotes du passé. Même si ça ne se dit pas, d’après ce qu’on m’a dit, ça se faisait encore il n’y a pas si longtemps… A lire sur le sujet, un article du Courrier International, de 2011 :

http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/13/pour-echapper-aux-vampires-rien-ne-vaut-les-vieilles-recettes

 

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Et puis, les jolies tombes roumaines avec toit et jardin, ça peut convaincre les morts de rester tranquilles chez eux !

Et l’ail me direz vous ? Non, Bram Stoker n’a pas été traumatisé par les gousses d’ail dans sa ratatouille quand il était petit. Il a là encore repris une vieille croyance roumaine, qui veut qu’à la St André, la nuit du 30 novembre, les esprits reviennent sur terre. Pour éviter qu’ils ne rentrent dans les maisons pour ennuyer les vivants, il faut placer une gousse d’ail devant chaque ouverture.

 

Vous ne trouverez donc pas Dracula en Roumanie. Par contre, vous trouverez tout un tas de vieilles histoires pour se faire peur au coin du feu, qu’un talentueux écrivain anglais a su mixer à sa sauce, pour donner naissance à un mythe littéraire et cinématographique.

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Une auberge de jeunesse en Roumanie. On ne peut pas leur en vouloir d’exploiter le filon !

Romania : pour les vampires, c’est un peu plus à l’ouest

Cet été, balades en sac à dos à travers la Roumanie. Je n’ai pas réellement été à la pêche aux contes, à cause de la barrière de la langue (pas facile d’interroger en dehors des sentiers battus), mais j’ai quand même croisé des Roumains parlant anglais ou allemand, et donc quelques histoires…

Commençons par l’inévitable : la question de ces êtres pâles, aux dents pointues, portant une cape rouge et boivent le sang des jeunes filles en chemise de nuit.

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Avouez. Que voyez-vous dans le vitrail de cette gare ?

Soyons clairs : vous n’êtes pas au bon pays pour ça. Le vampire façon Bela Lugosi, c’est un peu plus à l’ouest, sur les écrans d’Hollywood.

Et oui, pas de vampires dans le folklore traditionnel roumain. Pas trop déçus ? Le vampire tel que la midinette de quinze ans se l’imagine, cet être sombre et romantique, est né au cinéma (et je préfère ne pas évoquer les ravages d’une récente trilogie de bouses cinématographiques et littéraires, faisant du vampire un éternel lycéen qui se transforme en boule à facettes aux rayons du soleil).

Bram Stoker a en bonne partie créé le vampire tel qu’on le connaît, mais chez lui, le vampire n’a pas grand chose de séduisant : c’est une créature répugnante, qui prend l’ascendant sur les gens par ses pouvoirs hypnotiques, relisez donc vos classiques ! D’ailleurs, le premier grand film de vampires s’inscrit dans cette lignée : pas grand chose en commun entre le Nosferatu de Murnau et la créature à paillettes de Twillight, revoyez donc vos classiques !

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Là. ça c’est un vampire.

Edward Cullen

Et ça, c’est juste un mauvais acteur.

Cela dit, Bram Stoker ne part pas de nulle part, et s’est bel et bien inspiré de créatures du folklore roumain (j’y reviendrai). Il a récupéré le personnage (déjà célèbre) de Vlad « Tepes » (= Vlad l’Empaleur), dont le père s’appelait Vlad « Dracul » (= Vlad le Dragon). Bon, ce dernier régnait en Valachie, mais la Valachie c’est pas sexy, il n’y a que des plaines, donc il l’a installé en Transylvanie, là où il y a des loups, des montagnes et des forêts.

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Vlad, dans les ruines de son palais à Bucarest. Pas un joyeux drille, certes, mais ni vampire, ni transylvanien.

Le problème, c’est que tout cela donne un énorme malentendu touristique. Les gens viennent pour Dracula, et les tours opérateurs ne se gênent pas pour le leur vendre. Le château de Bran, qui aurait inspiré Bram Stoker, est envahi de familles déçues, qui s’attendaient à une sorte de train fantôme, mais qui découvre un joli manoir cosy à l’allemande, et se consolent à la sortie en achetant un mug made in china.

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Là. ça se passe de commentaires.

Visiteurs amateurs de créatures à empaler, passer donc votre chemin. La seule chose que vous trouverez, c’est ça :

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« The potato on the stick », la célèbre patate empalée de Bucarest. Superbe monument dédié à la révolution (!), dont on a un peu de mal à comprendre le sens. Peut-être une invitation à empaler les gens qui écrivent comme des patates et osent faire du vampire un adolescent attardé ?

Le bâton qui (lui) savait voler

Quand j’ai décidé d’arrêter le Chemin, j’étais trop triste pour rentrer en France aussitôt. J’ai donc pris un bus pour le Portugal, histoire de me reposer en mangeant du poisson grillé et en buvant du porto.

J’ai enlevé la coquille de mon sac, rangé mon guide, donné mes provisions à ceux qui continuaient. Et j’ai arpenté tout Burgos pour essayer de trouver quelqu’un à qui confier mon bâton, le bâton sculpté par mon grand-père, en attendant que je revienne reprendre le Chemin.

A l’heure de quitter Burgos, je n’avais trouvé personne qui veuille bien veiller sur lui pendant quelques mois. J’ai donc pris la route de Porto, en espérant rencontrer un Français rentrant au pays qui pourrait lui faire faire le voyage. Mais ni à Porto, ni à Lisbonne, ni à Sintra, je n’ai trouvé de covoiturage pour mon bâton. Pas moyen non plus de le ramener dans mon vol de retour, il ne rentrait pas dans les tailles acceptées par Ryanair.

Alors, la veille du départ, je suis allée à la poste sans trop y croire. Non, il n’avait pas de colis de 1m50 sur 5cm, mais pas de problème, m’a assuré le guichetier mort de de rire. Et hop, voilà qu’il colle une étiquette directement dessus et le jette dans les sacs de courrier, sans franchement me laisser le temps de réaliser.

Je suis rentrée en France, un peu sonnée et persuadée d’avoir bêtement perdu un souvenir auquel je tenais beaucoup.

Mais quatre jours plus tard, un facteur, très amusé, a frappé à ma porte…

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J’aimerai bien qu’il puisse raconter par quelles aventures il est passé pour arriver si vite (plus d’une semaine avant mes cartes postales, postées le même jour), et en un seul morceau, avec juste une étiquette griffonnée à la main en étendard. Le Chemin fait des miracles, même à distance !

En tous cas, c’est bien le signe que nous allons repartir, et ça fait chaud au cœur !

La tortue qui ne savait pas voler

Ce que j’ai raconté dans mes précédents articles résume bien mes dix premiers jours sur le Chemin.

Pendant dix jours, j’ai marché 25 à 30 kilomètres par jour, sans aucun soucis. Moment de grâce après de longs mois enfermée à Paris, j’avais l’impression de voler sur le Chemin.

Mais les tortues, ça ne vole pas. Et c’est un peu avant Burgos que le navire a pris l’eau. Violente inflammation de la cheville, que trois jours de repos complets n’ont pas pu calmer. Rien à faire, et à l’heure où j’écris, un mois après, j’ai toujours bien mal.

Pas la peine de s’étendre sur ce qu’on ressent, après avoir été transportée par le Chemin et les rencontres, en voyant sa nouvelle famille qui continue sans vous.

J’ai marché, de Saint-Jean à Burgos, près d’un tiers du Chemin. Je n’avais pas envie de finir avec une jambe de bois, alors j’ai été raisonnable et me suis arrêtée, mais attention, je me suis juste mise en pause. Parce qu’il n’est pas question de laisser le Chemin en plan. J’espère bien repartir le plus tôt possible, peut-être en septembre, pour emmener ma tortue jusqu’à Santiago.

A nous deux, on a largement assez de pattes.

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Le bâton et la fourchette

Lors de sa longue marche, le pèlerin se focalise bien souvent sur le but ultime de la journée : le repas. Tout en grignotant des fruits secs et du chocolat pour tenir, il rêve à ce qu’il mangera au gite, le soir venu. Seulement voilà : après 6h de marche, on a juste envie d’ouvrir une boîte de conserve.

J’ai eu la chance de marcher avec des gens de tous horizons que rassemblait une passion commune pour la bonne bouffe. Assez vite, l’équipage s’est organisé pour que chaque soir, un gabier différent face la soupe pour tous les autres.

Et comme c’était l’occasion de de se faire un peu voyager les uns les autres, nous avons partagé nos recettes traditionnelles…

Les vraies pâtes carbos, par un vrai italien :

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 J’ai plusieurs fois fait escale avec un groupe d’italiens. Au menu du soir : des pâtes, des pâtes, oui mais des authentiques. A la tomate, à l’ail et au piment, mais toujours al dente !

Pour avoir blasphémé en osant évoquer l’idée de faire des pâtes carbos à la crème fraiche (comme tout le monde en France, non ?), j’ai eu droit à une formation accélérée pour faire des VRAIES carbos (après avoir prêté serment sur le guide du pèlerin de ne plus jamais retomber dans l’hérésie).

Faire caraméliser 200g de lardons dans une poêle, avec beaucoup de poivre noir (carbonari, et oui. Aucun rapport avec la société secrète). Faire cuire des pâtes al dente. Battre ensemble 6 jaunes d’oeufs avec du fromage de brebis râpé. Mélanger ensemble les pâtes chaudes, les lardons, et les jaunes battus encore crus. Servir tout de suite.

 

La vraie paella, par une vraie espagnole :

On ne pouvait pas passer à côté, nous avons eu notre soirée paella. Ana, la belle de Malaga, s’est mise à la pluche après 7 heure de marche, éminçant patiemment les légumes et la viande pendant une après-midi entière pour nous offrir cette merveille… Merveille d’improvisation également, car on ne tombe pas toujours dans une auberge bien équipée en ustensiles de cuisine !

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Les vraies crêpes, par une vraie tortue bretonne :

Là, (mais vous vous en doutez un peu) c’était notre tour.

40 crêpes pour 5 personnes, j’avais vu un peu large. Du coup, on en a distribué à tous les pèlerins de l’auberge, dont beaucoup ont immédiatement parlé de venir en Bretagne pour les vacances…

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La vraie « english tortilla », par un vrai anglais qui sait raconter des histoires :

Oui, vous avez bien lu. En fait, la tortilla est anglaise, chut. Quand l’Invincibla Armada des Espagnols a été vaincue par la flotte anglaise en 1588, les rescapés échoués sur les côtes se sont bassement vengé en volant aux Anglais le secret de leur délicieuse tortilla. Pire encore, ils ont par la suite prétendu en être les inventeurs…  En tous cas, c’est un Anglais qui me l’a raconté !

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Le vent se lève…

L’équipage a eu beaucoup de chance lors de la traversée. Pas de drache, pas de grain en vue… mais par contre, un vent à démâter les bateaux qui nous a obligé à racheter un peu d’équipement en route. Merci encore à ce gentil monsieur d’Estella qui nous a fait moitié prix sur les polaires, parce que nous étions pèlerines.

Nous avons donc cheminé sous le vent, escortées par des nuées d’éoliennes… comme l’ont fait avant nous des milliers de marcheurs, dont on devine parfois la trace.

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Donde se cruza el camino del viento con el de las estrellas. Là où se croisent le chemin du vent et celui des étoiles.

Quand on arrive en ville

Quand on arrive en ville, les gens changent de trottoirs,

Je ne suis qu’une ptite pèlerine, mais je fais peur à voir

Les chaussures toutes crottées, ça faire rire les passants,

Mais quand ils voient les ampoules qui fleurissent là dedans,

ça fait comme un éclair dans leur regard…

 

Tout au long de sa lente et paisible traversée, le pèlerin surveille avec un mélange d’attente et d’appréhension l’approche de l’île où il s’échouera pour la nuit. Petit village de pierres ou grande ville à l’interminable banlieue industrielle, auberge familiale ou dortoir de 100 personnes, à chaque fois c’est un peu la surprise.

On émerge un peu hagard de nos kilomètres journaliers, tendus vers les objectifs du jour : trouver une place dans l’auberge la moins chère. Dénicher une machine à laver gratuite. Refaire le plein d’abricots secs pour la route. Et par dessus tout : un lit pour s’allonger un coup !

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Pèlerin… coquille… maison !

Après la marche matinale, on arrive souvent bien avant l’ouverture des auberges. Alors, on s’avachit sur un banc public et on se regarde les orteils sans vergogne. Comme il fait froid, on met des chaussettes dans nos tongues, et ça devient vite un moyen d’identifier facilement les collègues. Sur la route, on en revient aux besoins et les simples, et être sexy n’en fait pas partie.

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Le banc, le plus grand allié du pèlerin dans la jungle de la ville

Puis, l’auberge ouvre. C’est l’escale tant attendue. On enlève ses chaussures, et on met la coque en radoub. Le pied est le principal sujet de conversation du pèlerin à l’étape. Montre moi tes pieds, regarde mes pieds, comparons nos pieds… Un fabuleux trafic de médicaments, pansements et conseils médicaux plus ou moins farfelus sévit, et chacun fait sa propre cuisine.

Il ne faut surtout pas percer les ampoules. Tiens, prend un compeed, ça fait des miracles. Ne touche pas à la corne de tes pieds. Vite, perce ton ampoule, c’est la seule chose à faire. Les compeeds ne servent à rien, je t’assure. Il faudrait que tu rappes la corne de tes pieds, elle va te faire mal à la longue. Bref, j’ai tout testé et n’ai trouvé qu’une seule solution : prendre son mal en patience et se dire que demain, après les cinq premiers kilomètres, on oubliera la douleur !

Dans les dortoirs (qui vont de huit à cent personnes), chacun marque son territoire. On monte le camp en quelques minutes, ficelle tendue pour faire sécher les vêtements du jour, et bâton calé au pied du lit. Moi, je prends toujours le lit superposé du bas, ça fait une cabane.

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Vient alors le moment où le pèlerin, bien lavé, bien installé, bien reposé, peut aller s’encanailler dans les tentations urbaines. Il quitte l’auberge, boit un verre, prend un monument en photo… et retourne vite à son lit avant neuf heures du soir, déjà concentré sur l’étape suivante. Car aussi belles que soient Pampelune, Estella ou Logroño, on ne fait que les traverser !

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Certains perdent des plumes, lors de cette traversée… Mais ce n’est pas perdu pour tout le monde.

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